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Ce fut bien avant l’incident de Centralia. Bien avant le déclin officiel des mines de charbon. Bien avant la montée de l’athéisme au sein des Etats-Unis et la magnificence de la technologie. Bien avant la guerre du Vietnam ou le discours de Martin Luther King. Bien avant Neil Armstrong et son premier pas sur la lune, gardant cette dernière vierge de toute présence, œil borgne veillant dans le ciel.

Lors d’une époque de vinyle, de rock, de Chuck Berry, de robes au pli impeccable, de sourires peints sur des cartons de lait, de publicité léchée pour des frigos neufs, et le chrome luxuriant des Cadillac et des Plymouth. L’air, à cette époque, fleurait l’iode, le bois sombre, la terre humide, et la cendre poussiéreuse de la mine à ciel ouvert implantée dans le sein de cette vague distordue que les premiers arrivants avaient baptisés Coal Lake.

Nul besoin de vous expliquer la déception des premiers fondateurs lorsqu’ils découvrirent que les gisements de charbon tant attendus se trouvaient en réalité à plusieurs miles en dessous de leur frontière, en Pennsylvanie très exactement, et non pas dans le Maine. Cela ne les empêcha pas de creuser pour y trouver plusieurs minerais salutaires à l’expansion de ce que l’on qualifia plus tard de « charmante ville touristique ».

Le genre de petite ville où tout le monde finissait par se connaitre.

Toujours.

COAL LAKE : LA VILLE DES BORDURES
POPULATION : 2703.


Le plus jeune habitant avait trois semaines, en ce matin de Mai 1954. Le plus vieux en avait quatre-vingt-dix-neuf et s’apprêtait justement à expirer. Il y avait un petit hôpital de campagne à cette époque qui ferma l’année suivante – si on pouvait qualifier cela « d’année » suivante et Elizabeth Withers s’y trouvait pour la jambe de son frère Johan – enfin, l’absence de jambe. Elle buvait un thé à son chevet quand l’explosion survint.

Ce n’était, de fait, pas vraiment une explosion. Plutôt un soulèvement.

Son corps tout entier sentit le mouvement. Sa tasse clinqua durement contre la porcelaine de sa soucoupe. Elle cligna des yeux, comme si ses pensées s’ordonnaient pour faire le tri entre toutes ces sensations, à savoir si elle-même l’avait senti ou si ce n’était que le fruit d’un haut-le-cœur passager dans un océan de faiblesse.

Puis les lumières claquèrent.

Et la lumière expira dans un dernier souffle d’agonie.


Le sillon forcé que les industriels nommèrent « gisement souterrain à grande profondeur » employait alors cinquante-deux mineurs américains, dont trente-sept d’origine chinoise. Treize d’entre eux appartenaient à la même famille qui s’était installée là après les émeutes de 1882, s’obligeant à demeurer dans une ville qui ne voulait pas d’eux, en compagnie de blancs qui ne cessaient de les accuser de leur voler leur paquerette de travail – mais bienheureux, finalement, de cette ressource non négligeable et mal payée pour s’enfoncer dans des souterrains impraticables où ils risquaient presque gratuitement leur vie.

Ce jour-là il n’y eut pas de séparation des classes, ni de racisme.

Pas un seul de ces cinquante-deux miniers ne survécut à la « Katastrophe. »

Et pas un seul homme dans un rayon de cinq-cent mètres autour de l’entrée du tunnel de Ford Hampton – ce foutu tunnel qui ouvrait l’œil sur un monde d’obscurité et d’onyx, là où ils avaient tous creusé trop loin, ne courut assez vite pour échapper à la Faille.

En tout et pour tout, ce furent deux-cent-trente-quatre âmes que Ka avala sans les recracher, le jour de sa renaissance.

Et il lui en restait plus de deux-milles pour se sustenter.


Elle l’avait frappé une fois de trop – crié une fois de plus – et quelque chose en lui s’était réveillé. Comme une pulsion, une émanation à l’odeur d’éther qui lui avait remonté le long de ses entrailles, au-delà de sa bouche, pour lui piquer les nerfs d’une pensée juste et pure : Il avait le droit de s’en débarrasser. La joue encore endolorie, le corps tremblant d’un véritable accès de rage, Vitold faisait face à cette hystérie d’orgueil, de haine et de violence qui, les cheveux détachés, la bave aux lèvres et le poing fermé, lui intimait l’ordre d’obéir. D’OBEIR à ce qui s’apparentait à une femme – sa femme – et qui refuserait certainement tout divorce à l’amiable qui n’irait pas avec ses propres conditions.

Madame Hill attendait encore sur la table en acier inoxydable de son sous-sol quand ses bras se détendirent pour saisir Agatha. Et personne, en voyant ce foutu polak de Chokowski, dont la maigreur n’avait d’égale que sa stature élancée, n’aurait pu parier un dollar sur ses chances de survie face à Agatha Chokowski, ex Agatha Marlon. Pourtant, fût-ce la surprise qui joua en sa faveur ou l’adrénaline gonflant ses veines, ce fut sans opposer la moindre résistance que la jeune femme aux cheveux noirs, au visage congestionné mais ouvert sur un O béant, se laissa trainer jusqu’à la porte de la chambre froide.

Vitold Chokowski n’était pas boucher, bien évidemment. Mais thanatopracteur.

« Qu’est-ce que tu fais ?! » Clama finalement la voix nasillarde d’Agatha. « Qu’est-ce que tu crois faire espèce de – espèce de DEGENERE ! »

Hélas, le Polonais n’aurait pas pu lui apporter de réponse, même s’il l’avait souhaité. Car chaque pas ainsi posé accomplissait un dessein qui ne lui venait même pas de lui-même. Ce n’était qu’une force immuable, observant avec malice et intérêt les actes d’un fervent en devenir. Un fervent qui, ouvrant les yeux chaque nuit à la même heure, se rendait compte ainsi que quelque chose n’allait pas et qui s’apprêterait, dans peu de temps, à se flinguer une bonne fois pour toutes. La vie n’avait pas laissé de chance à Vitold Chokowski, et même si en bon juif il continuait à espérer un signe de Dieu, force était de constater qu’il était ignoré de toutes et de tous ici.

Une proie facile en sommes, comme l’avait compris Agatha en voyant son cousin pour la première fois, à l’âge de quinze ans. La décrépitude de son existence avait fait le reste. Mais Ka avait d’autres projets pour lui.

Ainsi la porte s’ouvrit, alors qu’Agatha commençait à se débattre. Elle dérapa sur une plaque de glace. Tomba en arrière. Emit un sifflement sourd quand son crâne percuta une première rangée de casiers métalliques. Tâcha de se redresser. Fouilla dans les plis de sa jupe comme pour redresser le bon fonctionnement de ses jambes. Et lança une œillade à Vitold, non plus assassine, mais effrayée.
Puis il claqua la porte.

« Vitold ?! »

Et recula de quelques pas.

La chambre froide ne disposait, évidemment pas, de poignée à l’intérieur, principalement parce que les morts n’en avaient pas besoin. Agatha la chercha quand même, comme le bruit de ses ongles sur le métal l’indiqua au jeune homme d’à peine vingt-sept ans.

A compter de ce jour, il les aurait éternellement.

« Vitold OUVRE ! » Un coup. « OUVRE SEIGNEUR DIEU ! » Un autre coup. « ESPECE DE TARE ! MALADE ! BAISEUR DE VACHE ! OUVRE-MOI ENFANT DE - » Puis quelque chose grinça. Et d’un coup le silence se fit.

Cela dura quelques secondes. Le froissement des vêtements d’Agatha se fit plus lointain, comme si elle reculait.

« Vi- » Glapit-elle, sans finir sa phrase. Et elle se mit à hurler.

Ce n’était pas exactement le bruit que produit un humain quand il a peur ou quand il a mal. On aurait plutôt dit que l’on retournait une poche pour en vider son continu. Vitold allait se souvenir très longtemps de ce son particulier, celui de la mort effroyable. Comme celui qui survint après coup.
Celui d’une mâchoire se mettant à manger.


Les troncs creux, comme tant de gueules béantes, se faisaient d’une menace croissante avec l’obscurité grandissante des sous-bois. Ils étendaient leurs bras crochus à l’écorce épaisse, menaçant de s’éveiller pour fondre sur sa carcasse, se repaître de ses entrailles luisantes. Ils seraient ainsi rassasiés et pourraient dès lors retourner à leur immobilité salvatrice, en quête d’une prochaine victime à écorcher vive.

L’appréhension le tenaillait mais sa foi était plus forte, du moins parvenait-il encore à s’en persuader plus ou moins efficacement. Son sillage percé dans le début de pénombre par la lueur assassine d’une lampe de poche – juste au cas où -  il s’enfonçait plus profondément encore dans les boyaux moussus de la forêt, guidé par la sainte parole de ses aînés et de la paroisse tout entière.

Père Francesco était l’un des rares latino-américains à avoir fait son bout de chemin dans Coal Lake, depuis cela trente ans. Si ces ouailles, aux premières années, s’étaient montrées distantes, dans une forme de racisme presque amical, son nombre avait fortement augmenté après l’incident de Ford Hampton et de la faille. Dans son église simple et sans manière, sur des bancs de bois toujours glacés, il dispensait une bonne parole que ses fidèles suivaient avec l’assiduité de chiens obéissants. Et lui les aimait, tou.te.s, sans exception.

Sa notoriété, cependant, ne devait rien au hasard. Car le père Francesco succédait ainsi à la tragique disparition survenue deux ans plus tôt, du pasteur Méthodiste Alford. Et par un bref coup du hasard, Elizabeth Withers en avait fait un pape, se rendant chaque dimanche à l’église, bien souvent accompagné de son plus jeune frère. Et sous les yeux presque grisâtres de la demoiselle toujours vêtue de noir ou de bleu, il avait commencé des sermons toujours plus versatiles, toujours plus engagés.

Cela avait fini par attirer l’attention. Celle des désespéré.e.s d’abord, des vieilles qui se promenaient toujours de banc en banc dans le centre-ville. Puis des effrayés.

Et enfin, celle de Ka.

Père Francesco avait deux bassets. Le premier se nommait Olly. Le second Wallas. Ces deux chiens partageaient son quotidien renfermé dans les deux pièces qu’il occupait aux abords de l’église. Ils s’ennuyaient peu et ne causaient pas de dégâts. Ils n’aboyaient d’ailleurs jamais. Ces deux chiens étaient ses seuls amis et ne concédaient à respecter un calme olympien que sous certaines conditions : une longue promenade dans les bois de Coal Lake. Surnommés par les rares gosses de la ville : la Bulle Verte.

C’était un amas d’arbres biscornus sans véritable charme. Si autrefois, en été, on aimait y camper, le clair-obscur pluvieux qui avait surgi après l’incident de Ford Hampton en avait fait une forêt maladive, toujours détrempée et peu accueillante. C’était, là-bas, un automne perpétuel et il ne faisait pas bon de cueillir la myriade de champignons aux couleurs délavées qui y poussaient sur les troncs.

Olly et Wallas s’en foutaient du moins éperdument. Ils pouvaient y jouer, caguer et pisser sans qu’on vienne les emmerder et couraient ainsi tout leur saoul, loin devant leur maitre qui ne craignait pas le vol.

Sans doute aurait-il dû.

Plongé dans ses pensées, oscillant entre les yeux d’Elizabeth et le sermon à prononcer demain, ce fut l’aboiement en forme de grincement d’Olly qui l’éveilla de sa torpeur et de sa marche automatique. Le chien semblait en difficulté, même si Wallas demeurait tranquille et étonnamment silencieux. Aussi pressa-t-il le pas, se morfondant sur l’idée que sa bête venait sans doute de s’amuser avec un serpent un peu moins prudent. Cet incident lui avait déjà fait perdre un chien, quand il n’avait que dix ans, et l’angoisse habituelle de retrouver l’animal, la langue pendante et le cou enflé, lui fit tout d’abord avoir cette vision atroce quand il déboucha dans la clairière.

Mais sur place, pas de chiens.

Et lorsque ses yeux s’habituèrent à la pénombre et qu’il comprit ce qu’il était en train de voir, son réflexe fut celui le plus naturel pour un homme de foi. Il se signa.

Les marches s’enfonçaient dans l’herbe et la rampe ouvragée semblait dévorée par la rouille. L’escalier – puisque c’était un escalier – n’était rattaché à un aucun support, ni mur, ni débris de maison. Il semblait posé là, comme par la main de Dieu. Il comportait à première vue une vingtaine de marches mais pas un seul instant le Père Francesco ne songea à les gravir. Il sentit ses yeux s’embuer, ses mains se joindre et balbutiant une litanie souvent utilisée pour l’exorcisme, entreprit d’en faire le tour.

Malheureusement pour lui, l’escalier avait aussi attiré l’attention de Ka.

Ce que le Père Francesco comprit quand ses pieds refusèrent de bouger et, pire, commencèrent même à s’enfoncer dans ce qui s’apparentait à une simple flaque de boue. Saisi, fronçant les sourcils, il tâcha d’abord de soulever son pied droit, avant de comprendre que le geste, déséquilibrant son axe, allait avant tout l’envoyer au tapis sans possibilités de retour.

La boue gagna ses mollets. Puis ses genoux. Et dans son esprit refusant de céder à la panique il vit trois choses. Les yeux d’Elizabeth Withers, la Bible de son père posée sur le bureau toujours en bordel de son appartement de célibataire pieux et la laisse d’Olly.

« Olly ! » Appela-t-il avant d’émettre un long sifflement. « OLLY AU PIED ! » Par la force des deux chiens, nul doute qu’en s’accrochant à leurs laisses, voire même à leurs colliers, il se sortirait de ce traquenard sans perdre de temps. Mais les chiens n’étaient pas en vue. Et la boue gagna ses hanches.

« Olly ! WALLAS ! » Pas d’aboiement au loin. Juste le silence de la forêt, un silence de mort, attentif. Le vent émit comme un soupir. La boue gagna son torse. Le père Francesco commença à paniquer. « A l’aide ! » Et à se débattre. « A MOI A L’AIDE ! QUELQU’UN ! »

Tendant les bras pour tenter de se raccrocher à l’escalier, ses ongles ne firent qu’effleurer la première marche. Son cou sentit l’appel froid et visqueux de la vase. La boue déposa des baisers onctueux à sa jugulaire. Ses mains tentèrent de s’accrocher à l’herbe, qui céda sous son poids. « A L’AIDE ! » Puis sa bouche engloutit la boue. La terre commença à recouvrir son visage. Son nez expira deux sifflements paniqués, puis commença à respirer l’amalgame.

Et le Père Francesco disparu. Plus loin Olly s’ébroua. Et Wallas marqua le tronc d’un vieux chêne d’un vieux filament de pisse. Les deux chiens commencèrent à se chamailler puis s’enfuirent en courant.

Sans un seul aboiement.


Silence, désormais. Silence et tend l’oreille à ce qui grouille dans l’obscurité. Un milliard de vers funestes, d’insectes grouillants, nichés dans la pénombre bienfaitrice des caves, des greniers et des âmes. Quelques pas dans le néant, une silhouette entre deux arbres, dans l’entrebâillement des portes du placard. Dans les chambres d’enfants, sous les lits des plus pieux. Elle guette, extirpée de sa mine, affamée et rieuse. Chaque jour à Coal Lake suffit sa peine. On dépose aux vitres des commerces quelques avis de disparitions, sans trop y croire, sans oser avouer l’inimaginable. Elle a encore frappé cette Nuit.

Les absences se succèdent alors, sans que le monde – ou ce qu’il en reste – ne cesse de tourner pour autant. Baisse la tête, allume religieusement les lampes, récite tes psaumes consciencieusement. Et au jour prochain, lève toi et sourit.

Peut-être qu’à la Nuit prochaine, tout sera fini.


A Coal Lake, le temps s’est arrêté. Pour toujours, au bon caprice d’une entité libérée par la cupidité humaine. Chaque jour – chaque nuit –elle dévore au hasard, les perdus, les vaillants, allège la population grandissante de deux ou quelques badauds. On ferme les yeux, on tente d’exister et d’oublier la menace planante. Parfois, on parvient presque à s’en défaire. Jamais pour très longtemps.

Coal Lake, c’est cette ville nichée dans un écrin de verdure, perdue entre son lac, la forêt et l’océan qui se fracasse aux côtes. Une cité autrefois tranquille, acculée par la brume et les pluies d’automne. Un ciel pâle, une température à peine variable, presque spectrale. De nuit, c’est un firmament, des lampadaires perpétuellement allumés pour repousser les ténèbres. Chaque heure du jour est rythmée par les sons des cloches des diverses chapelles qui jonchent la ville, de la plus modeste à la plus estimée.

C’est cette ville aux funestes souvenirs, en attestant quelques bâtiments abandonnés et rumeurs persistantes. C’est une terreur permanente, une paranoïa de tous les instants. Des croyants, des dévots. Une Eglise montante et dominant toute cette société laissée en autarcie. Car mieux vaut la prière que de céder à La Pénombre. A Ka, comme on aime à l’appeler non sans cynique ironie. Une société sectaire aux craintes faciles, à peine plus évoluée qu’à l’époque de La Faille. C’est un patriotisme lancinant, un étendard croyant fièrement dressée. Car qui sait ce qui, au-delà des côtes et de la forêt, reste du monde. Personne n’est jamais revenu pour en attester. On ne contrarie pas La Pénombre.

Sous l’épaisse couche de vernis, de voiture aux teintes pastel et aux chignons bien exécutés, Coal Lake n’est que saleté, peur et envie. Des regards attentifs et scrutateurs, entre voisins et amis. Une dévotion de façade, un obscurantisme religieux pesant. Restez dans la Lumière ou mourrez par La Pénombre.

Coal Lake n’est que crasse et méfiance.

Et une fois la Nuit tombée, d’étranges silhouettes s’étendent et chuintent d’un rire glacial. Elles viennent pour vos femmes, vos enfants.

Elles viennent pour vous.
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